Innovation
Un marathon à obstacles : l’obtention du passeport suisse
lundi, 16. septembre 2024
De Stefanie Kurt
Le parcours menant à l’obtention du passeport suisse s’apparente symboliquement à un marathon parsemé d’obstacles. Le marathon, la discipline de course à pied la plus longue en athlétisme, correspond à la durée de séjour requise pour qu’une personne étrangère puisse déposer une demande de naturalisation. La course à obstacles, elle, se réfère aux défis qu’elle doit maîtriser. C’est en faisant preuve d’endurance et en franchissant tous les obstacles que la personne étrangère peut se voir délivrer le passeport suisse en franchissant la ligne d’arrivée.
Cette image reflète l’idée actuelle du modèle d’intégration graduel, qui est ancrée aujourd’hui dans le droit de la naturalisation et de la migration. Avec le modèle d’intégration graduel, plus le statut juridique souhaité accorde de droits, plus les exigences en matière d’intégration doivent être élevées. L’obtention de la nationalité suisse est alors conçue comme la dernière étape juridique d’une intégration réussie.
Endurance : les conditions de naturalisation
En Suisse, les conditions de naturalisation sont plus strictes que dans d’autres pays européens. Les personnes souhaitant se naturaliser doivent faire état d’une durée de résidence totale de dix ans en Suisse. Pour déterminer cette durée, on ne tient compte que du séjour avec un permis sous forme d’une autorisation de séjour ou d’établissement. Le séjour des personnes étrangères admises à titre provisoire ne compte qu’à moitié. Le séjour en tant que personne requérante d’asile ou titulaire d’une autorisation de courte durée n’est pas pris en compte. En outre, une personne souhaitant être naturalisée doit posséder une autorisation d’établissement dans le cadre de la procédure de naturalisation ordinaire et – à quelques exceptions près – également dans le cadre de la procédure de naturalisation facilitée. Lors de leur première entrée et de leur séjour en Suisse, seules quelques personnes triées sur le volet obtiennent une autorisation d’établissement. En conséquence, la majorité des personnes étrangères doit déposer une demande d’autorisation d’établissement, ce qui est possible au plus tôt après cinq ans de séjour en Suisse. Lors de la délivrance de l’autorisation d’établissement, on doit également passer un examen d’intégration sur la base de critères similaires à ceux exigés pour la naturalisation (exigences linguistiques moins élevées). Ainsi, juridiquement parlant, la personne qui souhaite se naturaliser a déjà été examinée quant à son intégration lors de l’octroi de l’autorisation d’établissement. L’autorisation d’établissement peut être révoquée et remplacée par une autorisation de séjour si les critères d’intégration ne sont pas (ou plus) remplis. Après une telle rétrogradation, la personne concernée peut obtenir une nouvelle autorisation d’établissement après cinq ans au minimum, moyennant une nouvelle évaluation du niveau d’intégration.
Obstacles : les critères d’intégration
La loi sur la nationalité suisse exige que les personnes qui souhaitent se naturaliser doivent réussir leur intégration. Une telle réussite est vérifiée sur la base de cinq critères à remplir de manière cumulative. Les critères d’intégration comprennent, premièrement, le respect de la sécurité et de l’ordre publics et deuxièmement, le respect des valeurs de la Constitution. Troisièmement, il faut prouver que la personne souhaitant être naturalisée peut communiquer dans la vie quotidienne, à l’oral et à l’écrit, dans une langue nationale. Quatrièmement, elle doit travailler ou participer à l’acquisition d’une formation. Enfin, on vérifie si elle soutient et favorise l’intégration de son époux·se, de son ou sa partenaire enregistré·e ou des enfants mineurs sur lesquels elle exerce l’autorité parentale. Les cantons peuvent également prévoir des critères d’intégration supplémentaires.
Le canton compétent vérifie en premier lieu la réussite de l’intégration requise. L’examen d’intégration doit tenir compte de manière appropriée de la situation des personnes qui souffrent d’un handicap, d’une maladie ou d’un autre problème personnel important susceptible d’entraver la langue, la capacité à travailler ou l’acquisition d’une formation. Les critères d’intégration doivent être remplis à la fois lors du dépôt de la demande et au moment de la naturalisation effective. L’ordonnance sur la nationalité suisse explique ce que l’on entend par ces critères. Dans ce qui suit, les cas qui illustrent une intégration (non) réussie sont énumérés de manière simplifiée.
Maîtriser
Une intégration réussie se reflète dans la capacité prouvée de la personne à assumer de manière autonome tous les coûts de la vie tels que le loyer, les impôts et l’assurance maladie. La preuve peut consister en un emploi non résilié ou une activité lucrative indépendante. Il peut également s’agir d’une formation ou formation continue, dont on fournit la preuve en présentant, par exemple, un contrat d’apprentissage ou une attestation de fréquentation d’un établissement d’enseignement secondaire ou supérieur. La personne doit également faire état de connaissances linguistiques en maîtrisant au moins le niveau de référence B1 à l’oral et A2 à l’écrit, selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) du Conseil de l’Europe. Certains cantons, tels que Schwytz, Saint-Gall ou Thurgovie, exigent un niveau linguistique plus élevé. Enfin, on vérifie si la personne candidate à la naturalisation encourage les membres de sa famille à s’intégrer. Cela peut se manifester, par exemple, dans le fait de soutenir les membres de sa famille pour qu’ils participent à des événements culturels et sociaux, ou de s’engager dans des associations et des organisations auxquelles participent des citoyen·nes suisses .
Trébucher
On considère qu’une personne n’a pas réussi son intégration si, par exemple, elle ne s’acquitte pas de ses impôts ou de ses primes d’assurance-maladie ou s’il est question d’une saisie sur salaire. Les personnes ressortissantes étrangères ne sont pas non plus naturalisées s’il existe une condamnation pénale qui prévoit une peine inconditionnelle ou une peine d’emprisonnement partielle pour un délit. Il faut alors attendre que l’inscription n’apparaisse plus dans le casier judiciaire. Il y a violation des valeurs de la Constitution, par exemple, lorsque la personne étrangère organise des mariages forcés ou une excision (même sans caractère pénale) ou dénigre des minorités, des membres de certaines religions ou des personnes ayant une certaine orientation sexuelle sur les réseaux sociaux. Il y a également violation si elle se soustrait à l’obligation de service militaire ou de service civil, ou si elle n’accomplit pas la scolarité obligatoire.
Enfin, une personne étrangère est considérée comme n’ayant pas réussi son intégration si, conformément à l’ordonnance fédérale sur la nationalité, elle a recours à l’aide sociale dans les trois ans précédant la demande ou pendant la procédure de naturalisation. Une exception est faite si l’aide sociale reçue a été remboursée. Le délai de remboursement de l’aide sociale perçue varie d’un canton à l’autre. Par exemple, les cantons d’Argovie et de Berne exigent le remboursement des fonds d’aide sociale des dix dernières années, tandis que le canton de Thurgovie n’exige que les cinq dernières années.
Ligne d’arrivée : le passeport suisse
La durée des formalités de naturalisation dépend à la fois du canton dans lequel la demande est déposée et des conditions financières, familiales, sociales et linguistiques de la personne candidate. À l’instar d’un marathon parsemé d’obstacles, la procédure de naturalisation exige de la persévérance, de l’endurance et une préparation adéquate. La maîtrise des obstacles à l’intégration permet d’atteindre la ligne d’arrivée, tandis que le fait de trébucher peut signifier qu’il faudra consacrer plus de temps à s’entraîner en vue de la naturalisation. Car la procédure de naturalisation vise à garantir que seules les personnes étrangères les mieux intégrées franchissent la ligne d’arrivée et obtiennent la nationalité suisse. Une telle optique est cependant contredite par la recherche, qui indique qu’une naturalisation plus rapide – comparable à une course de courte distance – a des effets positifs sur les revenus et l’intégration d’une personne.
Références bibliographiques :
Barbara von Rütte : Kann man mit 70 Jahren noch Deutsch lernen?, Blog NCCR on the move, 12 mai 2017. (https ://nccr-onthemove.ch/blog/kann-man-mit-70-jahren-noch-deutsch-lernen/)
Série de blogs sur la naturalisation de la 3ème génération, blog NCCR on the move, 2017. (https ://nccr-onthemove.ch/blog/category/naturalization/)
Stefanie Kurt : Verrechtlichung des Integrationsbegriffes : Wo bleiben die inklusiven Ansätze?, dans : Terra Cognita 36, 2020, p. 70–72.
Stefanie Kurt : Le jeu de l’échelle de l’intégration juridique en Suisse, Blog NCCR on the move, 21 septembre 2021. (https://nccr-onthemove.ch/blog/le-jeu-de-lechelle-de-lintegration-juridique-en-suisse/)
STEFANIE KURT est professeure à la HES-SO Valais, Haute école et école supérieure de travail social à Sierre.
